-
Bakchich, vache à chapeau et bière allemande
Samedi 4 septembre 2010 : Ouzbékistan, les sommets de l'accueil
Aller en Ouzbékistan se mérite : ce samedi matin, l'avion de la Turkish Airlines atterrit avec un peu de retard sur le tarmac de l'aéroport. Pas trop grave puisque je suis en vacances et qu'un guide m'attend. Par contre, il est 4h du matin et ça c'est déjà plus difficile à encaisser. Pour le passage à la douane ouzbèke, le problème est différent : les douaniers dorment encore dans leur guichet et le souci ce sont les passagers de l'avion qui vient d'atterrir qui les dérangent un peu à cette heure-là. Les formalités s'étalent ainsi sur environ 1h, le temps que le diesel démarre. Un membre de mon groupe a involontairement trouvé la parade : un petit malaise dans l'avion et les formalités sont plus rapidement expédiées. Mais uniquement pour lui. Je reste donc debout dans la file en jouant des coudes pour ne pas me faire écraser par les autres passagers. Il fait plutôt chaud. Pour vous taquiner, vos bagages circulent déjà sous vos yeux à quelques mètres de là ... mais derrière la douane.
Le précieux tampon obtenu, vous jubilez pensant en avoir fini avec les formalités. Erreur ! Il vous reste le passage au scan des bagages et la déclaration des devises que vous faites entrer dans le pays. Et il vaut mieux en faire rentrer qu'en tirer sur place !
5h30 : vous sortez enfin de l'aéroport mais plus de triomphe sur votre visage, vous pensez plutôt à dormir. Le guide aussi d'ailleurs car lui aussi est debout depuis l'aube. Comme le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, le circuit commence par un court transfert de 289km entre Tashkent, la capitale, et Samarkand à 70km/h de moyenne (je vous laisse calculer le nombre d'heures car à ce stade je suis trop fatigué pour le faire moi-même). A part le chauffeur, personne dans notre groupe de 3 ne se souvient de l'intégralité du trajet mais notre attention a retenu le meilleur.
Nous traversons d'abord la banlieue de Tashkent. Cette capitale abrite 3 millions d'habitants. Puis rapidement les champs de coton, de maïs, de légumes succèdent aux immeubles. Quand je dis "rapidement", c'est que notre chauffeur c'est un peu le Schumacher local. Mais lui c'est pas Michaël, c'est Boris.
Le problème quand on s'appelle Boris, c'est qu'en face de vous, vous trouvez une armée de gens passionnés par leur boulot et qui encombrent les bords des routes : les policiers. En Europe, on n'a pas trop l'habitude de se battre pour faire partie de ce corps mais en Ouzbékistan, l'engouement est tout autre car la carotte est autrement plus alléchante !
Après même pas une heure de route, au détour d'un virage, notre véhicule est arrêté sur le bas-côté. Nous sommes pris alors que nous dépassions à peine la vitesse. A notre grande surprise, Boris salue le policier en lui serrant la main, ça ne peut que contribuer à faire baisser le bakchich. Le contrevenant a le choix entre graisser la patte de ces petits fonctionnaires ou payer une amende à l'Etat. Curieusement, la première solution est toujours privilégiée par les deux parties. Voilà pourquoi il n'y aura jamais de problème de vocation (ni de pv officiel en Ouzbékistan). Et le business tourne car plusieurs autres voitures sont arrêtées pendant que Boris est auprès du "caissier". Les ouzbeks soulignent d'ailleurs avec humour que les policiers sont toujours 3 lors des contrôles : un pour mesurer la vitesse, un pour arrêter la voiture et un dernier pour le bakchich. Refroidi par le manque de chance, notre véhicule ralenti.
Les prairies traversées de canaux d'irrigation succèdent aux champs, la région du Syr Daria (un grand fleuve) laisse la place à celle de Jizzax. Puis des montagnes de pierres surgissent quelques temps autour du véhicule. Nous approchons des Portes de Tamerlan qui ne sont rien d'autres qu'un goulet au milieu duquel passe la route. Mais Tamerlan, c'est le héros local donc ça mérite de sortir un peu de notre torpeur.
Une autre exclamation a le mérite de nous réveiller davantage : "Oh j'ai vu une vache avec un chapeau ouzbek !". Je cherche toujours une explication à cette phrase géniale mais n'ai pas encore trouvé . Soyez sympa, si un jour vous allez en Ouzbékistan et voyez une vache avec un chapeau, envoyez moi la photo car j'ai raté le clou du voyage.
T'en fais pas, bien sûr que j'y crois à ta vache. C'est comme pour les marmottes qui mettent le chocolat dans le papier alu ...
Sur ces entrefaites, nous débouchons au sommet d'une colline sur une ville de 500 000 habitants : Samarkand. Les Ouzbeks l'appellent modestement le Miroir du monde. Après quelques virages passés au frein à main, nous arrivons à notre hôtel et je cède enfin au sommeil pendant quelques heures.
En milieu d'après-midi, nous commençons la visite de la ville par le Gour Emir ou Mausolée de Tamerlan. Tamerlan c'est un grand conquérant du XIVème siècle qui sema la terreur entre la Chine et les rives de la Méditerranée. Samarkand fut le coeur de son royaume, sa capitale. Il fit d'abord ériger le monument pour un de ses petits-fils décédés, celui qu'il avait désigné comme son successeur. Mais il mourut peu après et fut lui aussi inhumé là alors qu'il s'était préparé un tombeau dans sa ville natale à Chakhrissabz.
Longtemps ce mausolée fut encadré de deux autres bâtiments aujourd'hui à l'état de vestiges : une madrasa (où se trouvent quelques tombes en bas à gauche de la photo) et la maison des derviches qui lui faisait face. Aujourd'hui, les archéologues y ont adjoint deux témoins de cette époque : le trône de Tamerlan et son chaudron. Avant de partir à la guerre, des grenades étaient pressées et leur jus recueilli dans ce récipient. Au retour, celui-ci était bu par les soldats pour renforcer leur sang (c'est presque le principe de la potion magique d'Astérix).
En 1942, les Russes ont cru utile de déplacer la dépouille du grand conquérant à Moscou. Celle-ci fut toutefois rapatriée en 1945 dans son pays d'origine. Les ouzbeks leur ont rendu la pareille après l'indépendance en remplaçant les statues des grands leaders communistes par celles de Tamerlan. La vengeance est toujours un plat qui se mange froid ...
La magnifique coupole bleue comporte 64 nervures, chiffre symbolique renvoyant aux 9 mois que Mahomet a passé dans le ventre de sa mère et aux 63 ans qu'il a vécu.
L'intérieur du mausolée est encore plus soft : or et pierres précieuses constellent les parois. Les représentations d'êtres vivants étant proscrites par la religion des motifs géométriques (les girikh) et des écritures tantôt calligraphiques, tantôt soufiques ornent les murs.
Au sol, une rangée de tombes abritent Tamerlan, ses fils, son petit-fils Ouloug Begh dont nous reparlerons et son maître spirituel. Celle de Tamerlan se distingue des autres par sa couleur noire : elle est en néphrite. Elle est par ailleurs fendue en son milieu. Quelques pèlerins viennent à intervalles réguliers se recueillir en ce lieu sacré. Mais il y a en fait anguille sous roche car les corps et les vraies stèles sont en réalité dans une crypte située en-dessous de cette salle (quand je disais "sous roche"). Vous pouvez y accéder mais moyennant bakchich. Quant à nous, nous n'avons pas tenté car nous sommes allergiques aux bakchichs, surtout Boris ...
L'intérieur du bâtiment est restauré notamment à l'aide de papier mâché. Mais le gros problème de l'Ouzbékistan, c'est l'abondance d'eau salée à 2 ou 3 mètres sous la surface. Celle-ci dégrade les décorations qui s'effritent déjà. En sortant par derrière, le guide nous permet d'apprécier d'autres dégâts infligés à ce site : un mur l'isole depuis 2007 du quartier environnant et des habitations traditionnelles du XVème siècle ont été détruites. Nous pouvons juste apercevoir la mosquée Ak-Saraï (= Blanche) qui n'a rien de spectaculaire :
En face du mausolée de Tamerlan, une esplanade s'étend jusqu'au mausolée Rukhobod ou "Résidence de l'Esprit" qui abriterait une relique du Prophète (une mèche de cheveux). A proximité est édifiée une madrasa où les étudiants venaient apprendre le Coran. Dans leurs cellules, ils ont aujourd'hui laissé la place à des marchands.
Les visites sont finies pour aujourd'hui. Nous regagnons l'hôtel à pied en longeant l'allée verdoyante du boulevard de l'université. Comme il fait chaud, le Pacha (pour préserver son anonymat et éviter toutes représailles) décide d'acheter une bière ouzbèke à l'hôtel. Il va se servir dans le frigo de l'hôtel qui est à la vue de tous et la règle sans problème. Si je buvais de l'alcool, j'aurais fait de même. Nous apprendrons plus tard dans le séjour que l'hôtel ne vend pas d'alcool et qu'en fait des allemands l'avaient placée là pour qu'elle soit plus fraîche. Si ça peut les consoler, il paraît qu'elle était fraîche ...
Comme j'ai dormi assez tard ce midi et que je n'en ai pas l'habitude, j'ai encore la patate. Donc plutôt que de rester enfermé dans l'hôtel, je décide de ressortir me promener seul. C'est très risqué après mon aventure du Népal (où je me suis perdu sans l'adresse de l'hôtel le premier soir) mais il fallait tenter l'expérience. Et incroyablement j'ai réussi à retrouver mon chemin comme quoi il y a toujours de l'espoir même pour les cas les plus désespérés... Je suis donc allé marcher vers le nord en direction de la poste centrale pour un petit repérage. Chemin faisant, je suis passé devant l'Union des Ecrivains et la Chambre du Commerce et de l'Industrie. J'ai également vu un quartier d'apparence beaucoup plus russe qui a totalement changé de figure en quelques mois. Et pour finir, j'ai rejoint l'église orthodoxe.
A peine rentré, nous avons rejoint un restaurant local pour une dernière petite surprise : une pâtisserie. Chouette, après l'effort le réconfort ! Sauf que la douceur en question est fourrée au fromage rance, un peu dans le genre mongol et ça c'est vraiment inoubliable surtout pour vos papilles. Un conseil donc : si vous allez au restaurant Platane à Samarkand, ne prenez surtout pas de gâteau ou alors prévoyez des pastilles à la menthe relativement forte. Moi, j'ai capitulé après une seule cuillerée.
Tags : tamerlan, gour emir, samarkand
-
Commentaires